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 f. et stein /transmission

2000
f. et stein, réinterprétation / intégrale


Ré-interpréter aujourd’hui f. et stein, créé en 1983 par Dominique Bagouet, est un désir qui s’inscrit à la fois par rapport à mon histoire d’interprète dans la compagnie de Dominique entre 1985 et 1988 et par rapport à ma propre recherche de chorégraphe et d’interprète.
Ré-interpréter f. et stein, c’est montrer aujourd’hui une autre face de l’œuvre : celle de la faille, de la déchirure, de la démesure, de l’extravagance, de la dislocation, de la maladresse, de l’humour. Toutes ces qualités sont évidemment présentes dans toutes les autres pièces de Dominique mais dans f. et stein comme dans jours étranges, elles sont à l’état brut et « sans garde-fou » pour reprendre l’expression d’Isabelle Ginot dans son magnifique ouvrage sur l’œuvre de Dominique.
Dès lors, je repense à la création du saut de l’ange pour laquelle Dominique avait trouvé une expression pour singulariser chacun de ses « dix anges ». Pour lui, j’étais « une sorte de héros romantique mais suffisamment tordu dans les coins pour que ça devienne intéressant… » Mon désir de ré-interpréter f. et stein s’inscrit sans doute dans ce « plaisir des tordus ». C’est pour moi l’occasion de danser cette faille et cette extravagance que je n’ai pas complètement traversées lorsque j’étais l’interprète de Dominique. En conséquence, ce projet n’a pour moi de sens que parce que je serai l’interprète d’une sixième pièce de Dominique et qu’elle possède un goût que je ne connais pas.
Le désir de ré-interpréter f. et stein est également à chercher dans la résonance qu’a cette œuvre avec ma recherche actuelle de chorégraphe et d’interprète.
Dans cette pièce, Dominique danse seul, dialoguant avec la guitare électrique de Sven Lava, musicien de rock. Avant d’être un duo dans sa forme scénique, f. et stein fut d’abord une recherche en solo. Cette dimension d’une danse qui s’élabore en solitaire m’intéresse car elle me renvoie directement à un processus essentiel et récurrent dans mon travail de création. A chacun de ces moments, je me pose en dehors des interprètes qui m’accompagnent dans les pièces de groupe, et j’expérimente des états de corps, des chemins nouveaux  sur moi-même.
Ainsi, j’ai chorégraphié et interprété trois soli (l’autoportrait de 1917, où ?, et sur/sous exposé) qui constituent trois temps de refondation de mon itinéraire dansé.
De même, il y a dans nos deux aventures respectives quelque chose qui est de l’ordre de la mise en jeu de l’intime. Dès lors, ce n’est pas cette mise à nu en elle-même qui m’intéresse, c’est le projet de mettre mes pas dans les traces laissées par Dominique et comme lui, « lâcher » mes propres résistances d’interprète et d’homme.
Cette entreprise n’est en rien un requiem nostalgique de l’oeuvre de Dominique, elle s’inscrit, à l’inverse, dans l’actualité d’un processus de création qu’elle remet en jeu.
Il va sans dire que ce projet pose plus que jamais la question des partis pris de remontage et plus généralement de l’existence d’un répertoire contemporain. Pour ma part, il me semble nécessaire de continuer à rester inventif et vivant sans s’enfermer dans la reproduction immuable du même. J’entends par là qu’il me paraît important d’être fidèle à l’esprit de Dominique plus qu’à une image figée de son œuvre. Ceci me semble d’autant plus pertinent dans f. et stein que la musique jouée en direct par Sven Lava tiendra en éveil notre capacité mutuelle à rendre vivante l’œuvre en train de se (re)jouer. Le choix fait par Dominique de la présence exclusive d’un musicien de rock, avec son look, sa façon de jouer, le parti pris des matières sonores, me semble emblématique d’un certain état d’esprit que je souhaite ici mettre en valeur. J’ai le sentiment que c’est une pièce où on est toujours à la limite, qu’à l’image (sonore) de la guitare de Sven, ça grince, ça coince, ça dérape, ça ne va jamais là où ça devrait aller. C’est un parti pris contre les évidences, contre les chemins tous tracés, contre les perceptions toutes faites. Ce qui implique l’idée d’un décalage et d’un certain humour derrière la gravité que l’on sent en filigrane dans le défilement des différents « personnages » qui structurent la pièce.[…]
Ré-interpréter f. et stein c’est montrer, derrière l’écriture chorégraphique des pièces de groupe, « l’homme qui danse » pour reprendre une des expressions favorites de Dominique, un artiste avec qui j’ai partagé un bout de chemin nourricier et que j’avais envie de retrouver « le temps d’une petite danse ».

christian bourigault, novembre 2000
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