Le saut de l'ange | version intégrale — 1994

Que Dominique Bagouet soit mort d’un accident, d’un cancer plutôt que du sida n’aurait en rien changé mon réflexe violent de tenter de sauver une part de son œuvre chorégraphique en remontant avec la compagnie le saut de l’ange l’an dernier. Je me suis engagée, avec le Ballet Atlantique auprès des carnets bagouet, pour que cette mission imagine transmettre l’esprit chorégraphique de Dominique à des danseurs qui, pour la plupart, ne l’avaient pas connu, ni même travaillé à ses côtés.
Sous la direction artistique de Catherine Legrand et Bernard Glandier, il me semble que nous, car j’ai envie de dire nous, à savoir Alain Neddam, les interprètes de la création du saut de l’ange, les membres des carnets bagouet, les danseurs mais aussi l’équipe toute entière du Ballet Atlantique Régine Chopinot, les artistes de la scénographie, du son, des lumières, des costumes, nous y sommes parvenus. A quoi ?  A nous laisser teinter par la couleur de Dominique Bagouet qui diffuse au pus profond de nos cellules sa pensée du monde, à travers sa danse et que pour y arriver il suffisait simplement d’y croire et d’accueillir en notre chair le magnifique esprit que contient en son moindre recoin l’écriture chorégraphique de cette pièce provocante en diable. Ne rien prétendre inventer à sa place, juste l’écouter et nous laisser guider, porter par elle. Cette expérience nous a nourris au plus profond de notre être et du coup, nous l’avons partagée avec le public curieux et heureux de découvrir ou re-découvrir cette parole essentielle d’auteur.
Malgré nos doutes et nos peurs, cette attitude qui s’est éveillée en nous : la confiance, l’écoute, l’accueil, c’est aussi l’attitude qu’au Ballet Atlantique Régine Chopinot, sous l’impulsion très engagée de Michel Sala, nous essayons d’adopter, bien sûr, pour cet événement exceptionnel qu’a représenté la reprise du saut de l’ange dans nos corps, nos esprits, mais aussi pour le quotidien, lorsque nous avons eu le triste devoir d’accompagner Poonie Dodson, Vicente Di Franco, Mervyn Francis ou Michel Demeulemeester.
En tant que créateur, tenter de sauver le saut de l’ange de l’oubli, en tant qu’employeur pour que le groupe se mobilise pour aider un danseur malade à trouver sa place, en tant que personne au côté de mes amis séropositifs, tout se rejoint en moi pour essayer, au milieu du chaos lié à la pensée de la mort, de trouver l’attitude juste, pas trop, pas assez, mais être à l’écoute avec l’espoir.

régine chopinot, programme du ballet atlantique régine chopinot, 5 octobre 1994