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so schnell /version 1992
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Lorsque ma été
confiée la mission dinaugurer pour
la danse le plateau du nouvel Opéra Berlioz
à Montpellier, jai pensé à
une chorégraphie dabord inspirée
par ce nouvel espace, vaste et encore « innocent »,
moins intimiste que nos territoires habituels. Il
ma suggéré une écriture
large et plus offensive pour une équipe importante
de danseurs.
Ainsi jai enfin osé mattaquer
à cette cantate bwv 26 de Jean-Sébastien
Bach enregistrée dans une version chère
à mon cur depuis longtemps et que je
réservais à ce type doccasion
presque festive. Toujours guidé par le charme
de ce grand tissu despace, porteur de lignes,
de points et de contrepoints, jai voulu insérer
entre chaque mouvement de la partition classique
des jeux sonores provenant de machines industrielles
de bonneterie. Laurent Gachet a capté, mixé
et arrangé ces rythmes et ces sons directement
liés à mon enfance puisque mes grand
père, père et frère ont tour
à tour dirigé une petite entreprise
textile accolée à la maison familiale.
Partant de ces sons en deux dimensions, jai
préparé des pages de trames précises
de construction chorégraphique, au service
dun vocabulaire sans scrupules desthétisme
mais soucieux dénergie et dexploration
souvent individuelle pour les interprètes.
Dautre part, jai demandé à
Christine Le Moigne pour le décor et à
Dominique Fabrègue pour les costumes de travailler
à partir du mouvement de peinture « pop
art » - en particulier des recherches de Roy
Lichtenstein en insistant sur les idées
de trames, de couleurs radicales et dun certain
humour.
Depuis, les données ont changé. Après
avoir créé une autre pièce
avec moi (necesito),
une partie de la compagnie sest lancée
dans un travail avec Trisha Brown, de nouveaux visages
sont arrivés qui sont autant dinfluences
nouvelles et la scénographie de la pièce
a évolué, sest ouverte, se prêtant
mieux ainsi à la perspective des tournées.
Une autre version est donc née qui bénéficie
dun regard nouveau posé sur la précédente.
La construction générale de la pièce
a peu changé mais ce territoire maintenant
connu semble mautoriser plus daudaces
en liaison avec les qualités personnelles
de chaque interprète, le rééquilibrage
des rôles permettant une motivation et une
connivence plus grande entre les partenaires.
Jai ajouté sous la forme dun
prologue, un duo féminin dansé dans
le silence dont lintensité dinterprétation
se devrait de ressembler au calme avant lorage.
Orage comme rage qui dabord éclate
aux sons de métiers à tricoter mécaniques
et finit par sexprimer aussi avec cette cantate
si dynamique, si dansante qui dit linsouciance,
tout en assenant son chant moraliste et censeur.
Cest un peu comme si ces textes religieux
pleins de fatalisme puritain me servaient de réactifs.
Dans cette version de so schnell
jai sans doute insisté plus encore
sur lexpression dune énergie
contraire à tout prix, qui sopposerait
au temps, ferait vibrer les sens, dirait la joie
presque subversive de danser sans donner prise,
le moins du monde au fatal.
Pour renforcer cette idée de jeu, dénergie
têtue, jai pour la première fois
puisé dans mon répertoire dont certaines
danses ainsi revisitées et citées,
deviennent des sortes de rengaines, chansons. Ce
sont elles qui portent ce sentiment de fausse insouciance
derrière lequel se cache la peur, la danse
devenant alors une fuite rapide so
schnell, si vite qui ne veut pas finir.
Elle finira bien sûr, mais quavant cela
au moins lespace soit envahi de forces qui
laissent quelques traces.
Cest de cela que parle aussi le décor
: une trame précise, un dessin aux contours
nets comme pour défier une mémoire
fragile par la force du trait.
dominique bagouet, août
1992 |
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